La Boetie III

Publié le par Snorri de Gotland

Toi qui oys mes soupirs, ne me sois rigoureux

Si mes larmes à part toutes miennes je verse,

Si mon amour ne suit en sa douleur diverse

Du Florenti transi les regrets langoureux ;

 

Ny de Catulle aussi, le folastre amoureux,

Qui le coeur de sa dame en chatouillant luy perce,

Ny le sçavant amour du migregeois Properce ;

Il n'ayment pas pour moy, je n'ayme pas pour eulx.

 

Qui pourra sur aultruy ses douleurs limiter,

Celuy pourra d'aultruy les plaintes imiter :

Chascun sent son torment, et sçait ce qu'il endure ;

 

Chascun parla d'amour ainsi qu'il l'entendit.

Je dis ce que mon coeur, ce que mon mal me dict.

Que celuy ayme peu, qui ayme à la mesure.

 

Quoy ! qu'est-ce ? ô vents ! ô nuës ! ô l'orage !

A poinct nommé, quand d'elle m'approchant,

Les bois, les monts, les baisses vois tranchant,

Sur moy d'aguest vous poussez vostre rage.

 

Ores mon coeur s'embrase davantage.

Allez, allez faire peur au marchand,

Qui dans la mer les thresors va cherchant ;

Ce n'est ainsi qu'on m'abbat le courage.

 

Quand j'oys les vents, leur tempeste, et leurs cris,

De leur malice en mon coeur je me ris.

Me pensent ils pour cela faire rendre ?

 

Face le ciel du pire, et l'air aussi :

Je veulx, je veulx, et le declaire ainsi,

S'il faut mourir, mourir comme Leandre.

 

Vous qui aymer encore ne sçavez,

Ores m'oyant parler de mon Leandre,

Ou jamais non, vous y debvez apprendre,

Si rien de bon dans le coeur vous avez.

 

Il oza bien, branlant ses bras lavez,

Armé d'amour, contre l'eau se deffendre,

Qui pour tribut la fille voulut prendre,

Ayant le frere et le mouton sauvez.

 

Un soir, vaincu par les flots rigoureux,

Veoyant desjà, ce vaillant amoureux,

Que l'eau maistresse à son plaisir le tourne.

 

Parlant aux flots, leur jecta cette voix :

Pardonnez moy maintenant que j'y veoys,

Et gardez moy la mart, quand je retourne.

 

O coeur leger ! ô courage mal seur !

Penses tu plus que souffrir je te puisse ?

O bonté creuze ! ô couverte malice,

traistre beaulté, venimeuse doulceur !

 

Tu estois donc tousjours soeur de ta soeur ?

Et moy, trop simple, il falloit que j'en fisse

L'essay sur moy, et que tard j'entendisse

Ton parler double et tes chants de chasseur ?

 

Depuis le jours que j'ay prins à t'aymer,

J'eusse vaincu les vagues de la mer.

Qu'est ce meshuy que je pourrois attendre ?

 

Comment de toy pourrois je estre content ?

Qui apprendra ton coeur d'estre constant,

Puis que le mien ne le luy peult apprendre ?

 

Ce n'est pas moy que l'on abuse ainsi ;

Qu'à quelque enfant ces ruses on employe,

Qui n'a nul goust, qui n'entend rien qu'il oye.

Je sçay aymer, je sçay haïr aussi.

 

Contente toy de m'avoir jusqu'icy

Fermé les yeulx, il est temps que j'y voye ;

Et que, meshuy, las et honteux je soye

D'avoir mal mis mn temps et mon soucy.

 

Oserois tu, m'ayant ainsi traicté,

Parler à moy jamais de fermeté ?

Tu prends plaisir à ma douleur extreme ;

 

Tu me deffends de sentir mon torment ;

Et si veulx bien que je meure en t'aymant.

Si je ne sens, comment veulx tu que j'ayme ?

Publié dans Poésie

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