La Boetie I

Publié le par Snorri de Gotland

Pardon, Amour, pardon ; ô Seigneur ! Je te vouë

Le reste de mes ans, ma voix et mes escripts,

Mes sanglots, mes soupirs, mes larmes et mes cris ;

Rien, rien tenir d'aulcun, que de toy, je n'advouë.

 

Hélas ! comment de moy ma fortune se jouë !

De toy n'a pas long-temps, Amour, je me suis ris.

J'ai failly, je le veoi, je me rends, je suis pris.

J'ai trop gardé mon coeur, or je le désabvouë.

 

Si j'ay pour le garder retardé ta victoire,

Ne l'en traite plus mal ; plus grande en est ta gloire,

Et si du premier coup tu ne m'as abattu,

 

Pense qu'un bon vainqueur, et nay pour estre grand,

Son nouveau prisonnier, quand un coup il se rend,

Il prise et l'ayme mieulx, s'il a bien combattu.

 

C'est Amour, c'est Amour, c'est luy seul, je le sens :

Mais le plus vif Amour, la poison la plus forte,

A qui oncq pauvre coeur ayt ouverte la porte.
Ce cruel n'a pas mis un de ses traicts perçants,

 

Mais arc, traicts et carquois, et luy tout dans mes sens.

Encor un mois n'a pas, que ma franchise est morte,

Que ce venin mortel dans mes veines je porte,

Et desjà j'ay perdu et le coeur et le sens.

 

Et quoy ! si cet amour à mesure croissoit,

Qui en si grand torment dedans moy se conçoit ?

O croistz, si tu peulx croistre, et amende en croissant.

 

Tu te nourris de pleurs, des pleurs je te promets,

Et pour te refreschir, des soupirs pour jamais :

Mais que le plus grand mal soit au moings en naissant.

 

C'est faict, mon coeur, quittons la liberté.

Dequoy meshuy serviroit la deffence,

Que d'agrandir et la peine et l'offence

Plus ne suis fort, ainsi que j'ay esté.

 

La raison feust un temps de mon costé :

Or, revoltee, elle veut que je pense

Qu'il fault servir, et prendre en recompence

Qu'oncq d'un tel noeud nul ne feust arresté.

 

S'il se fault rendre, alors il est saison,

Quand on n'a plus devers soy la raison.

Je veoy qu'Amour, sans que je le deserve,

 

Sans aulcun droict, se vient saisir de moy ;

Et veoy qu'encor il fault à ce grand roy,

Quand il a tort, que la raison le serve.

 

C'estoit alors, quand, les chaleurs passees,

Le sale Automne aux cuves va foulant

Le raisin gras dessoubs le pied coulant,

Que mes douleurs furent encommencees.

 

Le paisan bat ses gerbes amassees,

Et aux caveaux ses bouillants muis roulant,

Et des fruictiers son automne croulant,

Se venge lors des peines advancées.

 

Seroit ce point un presage donné

Que mon espoir est desjà moissonné ?

Non, certes, non. Mais pour certain je pense.

 

J'auray, si bien à deviner j'entends,

Si lon peult rien prognostiquer du temps,

Quelque grand fruict de ma longue espérance.

 

J'ai veu ses yeux perçants, j'ai veu sa face claire,

Nul jamais, sans son dam, ne regarde les dieux :

Froid, sans coeur me laissa son oeil victorieux,

Tout estourdy du coup de sa forte lumiere.

 

Comme un surpris de nuict aux champs, quand il esclaire,

Estonné, se pallist, si la fleche des cieulx

Sifflant luy passe contre, et luy serre les yeux ;

Il tremble et veoit, transi, Jupiter en cholere.

 

Dy moy, madame, au vray, dy moy, si tes yeux [vairs]

Ne sont pas ceulx qu'on dict que l'Amour tient couverts ?

Tu les avois, je croy, la fois que je t'ay veue ;

 

Au moins il me souvient qu'il me feust lors advis

Qu'Amour, tout à un coup, quand premier je te vis,

Desbanda dessus moy et son arc et sa veue.

Publié dans Poésie

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