Vers une hégémonie chinoise ? - Suite

Publié le par Snorri de Gotland

Du rapprochement économique avec Taïwan à la crise coréenne : la Chine consolide sa zone d'influence

 

Ni indépendantiste, ni réunificateur convaincu, le président actuel de la toute théorique "République de Chine", c'est-à-dire de l'île de Taïwan, a toujours combattu et l'une et l'autre possibilité, si bien qu'on ne saurait l'affilier avec certitude à l'une des deux écoles. Considérons donc qu'il est le meneur du mouvement de la Realpolitik taïwanaise, ce qui en bon français signifie une politique économique, une politique économiste, et surtout l'abandon de tous les principes élémentaires qu'autrefois la Grande Révolution révéla au monde. Ainsi, M. Ma Ying-Jeou a de cela deux ans été élu sur la promesse de l'amélioration des relations (théoriquement inexistantes, aucun gouvernement chinois ne reconnaissant l'autre) avec la République populaire voisine, reprendre les vols directs Taïwan-Chine, développer le tourisme en provenance du continent, ou encore la conclusion d'un traité de libre-échange. Et une fois encore, l'ultra-libéralisme aura achevé une démocratie à genoux, comme il commence à en prendre la fâcheuse habitude dans cette partie du monde, depuis que la RPC a saisi le mécanisme.

Par ailleurs, l'enquête sud-coréenne sur la disparition en mer de la frégate Cheonan a fini par aboutir à des conclusions terribles - et soutenues de preuves accablantes - en ce qu'elles révèlent enfin on ne peut plus clairement aux yeux de la communauté internationale, non tant ce dont la Corée du Nord est capable (torpiller une frégate d'une puissance étrangère en période de paix est en soi un casus belli), mais jusqu'où peut aller la Chine pour maintenir sa zone d'influence. Bien que depuis 1953, la Corée du Nord ait plusieurs fois fait preuve de son arrogance et de son militarisme forcené, et surtout depuis 2006 dans le domaine nucléaire, couler un bâtiment est un incident bien plus grave que des essais balistiques manqués, ne dépassant jamais les limites des eaux territoriales. Le régime ouvertement dictatorial du nord de la péninsule prend de l'assurance de manière tout à fait dangereuse. Et bien que cet incident ait obligé les Etats-Unis à se positionner clairement en faveur de la Corée du Sud (dont l'attitude stoïque et pacifique mérite l'admiration), tant sur le plan militaire que diplomatique (de nouvelles sanctions seront proposées au Conseil de Sécurité de l'ONU), le principal allié du Nord, c'est-à-dire la République populaire de Chine, qui vient de céder quelques miettes - après s'être longtemps laissé courtiser par les Etats-Unis - sur le dossier iranien, tergiverse, demande des preuves, et même remet en cause la bonne foi des enquêteurs du Sud.

 

"The Americans live in hope" : histoire d'une inimitié contenue

 

La RPC avance donc ses pions à l'est, consolide son assise en Corée, et continue à fouler aux pieds avec entrain les droits de l'Homme et ceux des nations, partagée entre une peur instinctive d'un éventuel de retour de baton de la part des Etats-Unis, et un cynisme triomphateur induite par l'incapacité de la nouvelle administration américaine à apporter des réponses claires sur les grands dossiers internationaux. Certes, désormais, lors des sommets bilatéraux, ils évoquent ouvertement les droits de l'Homme, les poignées de main se font plus froides, et les sourires sont de circonstance, mais la naïveté du nouveau cabinet d'outre-Atlantique, alliée à une considération toujours excessive pour l'économie (comparée à celle accordée aux principes élémentaires que devraient être la démocratie, la liberté individuelle ou l'Etat de droit) sapent tout espoir de réel changement. "The Americans live in hope" assène le pourtant très (trop ?) libéral The Economist daté du 29 mai en conclusion de son analyse de l'actuelle crise asiatique. Oui, on ne le répètera jamais assez, depuis la brutale transition entre les gouvernements Bush et Obama, "les Américains vivent d'espoir" et le monde, à notre insu, semble être devenu rose fluo. Utilisons maintenant le recul de l'Histoire, osons l'extrapolation, gardons Münich en mémoire. Est-ce parce que l'Europe ferma les yeux sur l'Anschluss ou les Sudètes, qu'elle pouvait espérer qu'Hitler négligeât la mise en place de sa machine de guerre ? Est-ce parce que l'Amérique oublia Nankin, que Pearl Harbour fut sauvé ? Retournons le problème. Le Japon pacifiste des années 1920 ignorant les massacres répétés de ses ressortissants par les Chinois, empêcha-t-il l'arrivée au pouvoir des militaires dans son propre pays ? Ces exemples répétés peuvent nous sembler lointains, et à la limite de la pertinence, mais il n'est aucune bonne volonté à attendre d'un régime autoritaire, surtout quand il sent que par peur on lui laisse les mains libres. L'étude de l'Histoire devrait nous permettre de tirer les leçons du passé. Evitons un second Münich tant diplomatique que moral, ne faisons pas de l'Iran ou de la Corée du Nord, des répliques à l'infini de l'Espagne franquiste. Il n'est pas de pacte honorable qu'on puisse conclure avec le diable. D'ailleurs, on peut se demander si une Corée du Nord à genoux économiquement (d'où le chantage à l'arme atomique), et une Chine de plus en plus soucieuse de conserver son attractivité vis-à-vis du monde (dont elle tire sa puissance) pourraient se permettre une guerre généralisée. De la fermeté face à l'inacceptable n'est pas du militarisme. La foi dans la démocratie n'appelle pas des missionnaires armés.

 

Aujourd'hui, l'économie qui était la principale arme de l'autoritarisme pour imposer sa loi aux démocraties est au plus bas, et chaque jour elle perd de sa valeur. Les grèves et les suicides commencent à devenir courants dans les usines étrangères implantées en Chine, en raison de l'indécence des salaires. Les Etats d'Europe du Sud, à commencer par le symbole de la Grèce, sont au bord de la banqueroute. L'avenir du monde d'après-crise pourrait bien être encore aujourd'hui entre les mains des démocraties, et à leur tête la France et l'Europe, patries de la Grande Révolution, après que l'Amérique ait jeté sur elle le discrédit, entre autres en raison de son soutien inconditionnel à Israël et à son terrorisme d'Etat. Il ne tient qu'à elles de transformer la menace que représente la crise en une manne au service des idées.

 

Feront-elles des propos du Premier Ministre Wen Jiabao sur la nécessité de "maintenir la dépréciation artificielle du yuan en période de crise" l'expression d'un cynisme marquant la nouvelle hégémonie chinoise ? Ou bien affirmeront-elles avec la même vigueur que le discours français à l'ONU de 2003 en faveur de la paix leur attachement aux valeurs fondamentales qui devraient sous-tendre toute politique appliquée au genre humain ?

Publié dans Géopolitique

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